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- L’évolution des relations de travail et la refondation du droit du travail
Le législateur a entrepris depuis quelques années une refondation profonde du droit du travail. Quelle est la nouvelle articulation entre le cadre législatif et la négociation collective ? Peut-on parler de l’avènement d’un "nouveau modèle social" mis en place depuis quelques années par l’État, fondé sur l’inversion de la hiérarchie des normes ? Comment le droit social s’adapte-t-il aux mutations profondes de la vie économique dont celles induites par la révolution numérique ?
En France, travailleurs et employeurs ont à leur disposition de nombreux textes de valeur juridique différente qui encadrent les relations de travail individuelles et collectives. Constitution, code du travail, conventions collectives, accords d’entreprise, arrêtés d’extension… Ce maillage complexe est aussi fait d’interactions entre les textes.
L’État est le principal régulateur des relations de travail en France. Toutefois, la détermination collective des conditions de travail, qui est un des droits fondamentaux énoncés par la Constitution, ménage une place à la négociation collective, qu'elle soit interprofessionnelle, de branche ou d'entreprise.
Le droit français est fondé sur la hiérarchie des normes. Le droit du travail s'intègre dans cette architecture. Toutefois, il est caractérisé par des mécaniques particulières, qui assurent la cohérence des différents blocs de normes : le principe de faveur et les dérogations.
Habituellement en droit, c’est le texte le plus élevé dans la hiérarchie des normes qui reçoit application (la loi s’impose au décret, un texte de droit public s’impose à un accord de droit privé, etc.). En droit du travail, une règle d’articulation différente a été posée par la jurisprudence : en cas de conflit de normes, c’est la plus favorable aux salariés qui doit recevoir application.
Ce principe de faveur a une valeur légale ; cependant, il ne s’est pas vu reconnaître une valeur constitutionnelle. Par conséquent, son application peut être écartée par le Législateur.
Ainsi, des exceptions ont été prévues à l’application du principe de faveur. Des normes peuvent « déroger » à d’autres normes dans un sens qui n’est pas plus favorable aux salariés, voire dans un sens défavorable, et ce sont ces normes qui vont s’appliquer. Cependant, cette dérogation est encadrée par la loi : la dérogation n’est possible que dans certains cas, à certaines conditions et dans certaines limites.
Le législateur a entrepris depuis quelques années une refondation du droit du travail. Auparavant les dérogations permettaient d'aménager des exceptions dans un ensemble protecteur du salarié, organisé selon le principe de faveur. Depuis près d'une décennie, le législateur organise une inversion de la hiérarchie des normes structurelle et non plus fondée sur des exceptions.
Sur une séquence courte de quelques années, l’ampleur des réformes opérées par les lois de sécurisation de l’emploi en 2013, relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale en 2014, Macron et Rebsamen en 2015 Travail en 2016, et par les ordonnances Macron en 2017 a profondément modifié l’architecture de la réglementation des rapports de travail subordonné. Les transformations apportées ainsi à ce régime de travail apparaissent d’une ampleur d’autant plus grande qu’elles prolongent d’autres réformes déjà engagées sur le terrain de la représentation syndicale, de la négociation collective ou encore de la formation professionnelle.
Protection des salariés, compétitivité des entreprises : quel rôle pour le droit du travail ?
Le droit du travail en France repose sur des droits constitutionnels, parmi lesquels figure la négociation collective. Le législateur et les partenaires sociaux sont amenés, dans leurs rôles respectifs, à réguler les relations de travail. Le lien de subordination est au cœur de la relation de travail individuelle.
En France, le droit du travail repose sur un socle constitutionnel qui énonce des droits fondamentaux, entre autres dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 :
- Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances (alinéa 5) ;
- Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix (alinéa 6) ;
- Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent (alinéa 7) ;
- Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises (alinéa 8) ;
- La nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture (alinéa 13).
Certains de ces droits fondamentaux portent sur la situation individuelle du travailleur : droit d’obtenir un emploi, non-discrimination, formation. D'autres reposent sur une initiative collective et permettent des moyens d’action : gestion des entreprises, négociation collective, action syndicale, grève. Le travailleur dont ils dessinent le contour est un salarié.
La principale caractéristique de la relation de travail entre employeur et salarié est le lien de subordination
Par l’acceptation du contrat de travail, le salarié se trouve sous l’autorité de l’employeur, qui dispose de prérogatives juridiquement reconnues. Le droit du travail entérine une situation qui fait figure d’exception au principe fondamental qui "assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens" (article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958(nouvelle fenêtre)).
Le législateur dans la dernière partie du XXe siècle entreprend d’élaborer un code du travail autour des droits fondamentaux du salarié, de facto en contrepartie du déséquilibre que peut engendrer le lien de subordination. Chacun de ces droits à valeur constitutionnelle est traduit dans un ou plusieurs articles de l’actuel code du travail.
La régulation des relations de travail en France repose sur la production de lois et de règlements par le législateur mais aussi sur la négociation collective, qui est un des droits fondamentaux. A-t-elle dans les faits l’importance que lui accorde le Préambule de la Constitution de 1946 ?
Négociation collective et loi : la représentation du salarié et ses limites
Le cœur de la négociation collective en France est constitué par les conventions collectives et les accords de branche qui les accompagnent. Ils complètent les dispositions légales du droit du travail dans les branches dans un sens toujours plus favorable au salarié que le code du travail (principe de faveur). Les conventions de branche portent obligatoirementsur les conditions d’emploi, de formation professionnelle, de travail et les garanties sociales. Les accords de branche portent sur un ou plusieurs de ces thèmes.
Les conventions ou les accords sont conclus entre une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ d’application de la convention ou de l’accord et une ou plusieurs organisations syndicales d’employeurs, toute autre association d’employeurs ou un ou plusieurs employeurs pris individuellement (article L2231-1 du code du travail).
Si la négociation collective est un droit fondamental, l’État dispose de nombreux moyens de contrôle sur les textes et leur contenu. C’est aussi le législateur qui fixe les règles de représentativité syndicale.
L’État a un rôle central dans la production de norme sociale. Le législateur fait en sorte de favoriser la négociation collective : "Tout projet de réforme envisagé par le gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation" (article L1 du code du travail).
Cet article établit l’antériorité des accords nationaux interprofessionnels (ANI) sur la loi et l’importance de la négociation collective dans son élaboration.
Le pouvoir de régulation des organisations syndicales de salariés et d’employeurs est cependant limité dans le cadre d’un ANI. L’article L1 ajoute que "le gouvernement leur communique un document d’orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options" et que "lorsque le gouvernement décide de mettre en œuvre un projet de réforme en l’absence de procédure de concertation, il fait connaître cette décision aux organisations […] en la motivant dans un document qu’il transmet à ces organisations avant de prendre toute mesure nécessitée par l’urgence".
La négociation collective s’occupe par ailleurs d’aspects spécifiques aux branches ou adapte les dispositions de lois et règlements, dans le respect de l’article L2251-1 du code du travail. Ces dispositions définissent le principe de faveur : "Une convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d’ordre public."
Cela demande au législateur, qui régule déjà les relations de travail, de produire en plus des normes sur la négociation collective afin d’en fixer le cadre. C’est l’objet même de la deuxième partie du code du travail.
Jusqu’à une époque récente la régulation des relations de travail, conduite par l’État et adaptée à la spécificité des branches par les partenaires sociaux, était l’expression d’une conception protectrice du salariat. Toutefois, de plus en plus le législateur entreprend de mettre en avant la compétitivité des entreprises.
Compétitivité et hiérarchie des normes : vers un nouveau droit du travail
Un "nouveau modèle social" est mis en place depuis quelques années par l’État, fondé sur l’inversion de la hiérarchie des normes.
L’inversion de la hiérarchie des normes établie par la loi et des ordonnances dès 2016 a déplacé le cœur de la négociation collective vers l’entreprise. Les accords d’entreprise n’entrent pas dans la procédure de l’extension. Le législateur consent ainsi à laisser à la négociation d’entreprise le soin de préciser les modalités concrètes d’application de certaines dispositions du droit du travail.
La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El Khomri, et les ordonnances n° 2017-1385, n° 2017-1386(nouvelle fenêtre), n° 2017-1387, n° 2017-1388, n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 et n° 2917-1718 du 20 décembre 2017, dites ordonnances Macron et ratifiées par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, ont modifié l’architecture du code du travail.
Les grands thèmes dans le nouveau code du travail sont articulés en trois parties :
- l’ordre public, établi par le législateur et non modifiable par la négociation collective ;
- le champ de la négociation collective, qui affirme la prééminence de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche pour certains thèmes ;
- les dispositions supplétives, déterminées la plupart du temps par l’employeur à défaut d’accord.
Cette architecture entérine l’inversion de la hiérarchie des normes. Les dispositions d’une norme de niveau inférieur (l’accord d’entreprise) peuvent primer sur celles d’une norme de niveau supérieur (l’accord de branche).
Ces dispositions légales visent à assurer la compétitivité des entreprises françaises dans le contexte de la mondialisation, au détriment du principe de faveur. La volonté du législateur est de recentrer la négociation collective sur les entreprises, les principaux acteurs économiques (augmentation de près de 30% du nombre d’accords d’entreprise entre 2018 et 2019, diminution de la négociation interprofessionnelle, selon les chiffres du ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion).
Vers une refondation du droit du travail
La révolution numérique, la crise sanitaire et l’essor du télétravail ont rappelé aux entreprises et aux salariés que le droit social est une matière vivante. Qu’en 2022, des ajustements sont devenus indispensables, d’une part pour que la protection sociale (indemnisation chômage, pension de retraite, minimum salarial) couvre tous les travailleurs, y compris les « indépendants » des plates-formes, et d’autre part pour organiser le cadre du télétravail régulier. L’essor du travail à distance a provoqué un choc, puis un impératif de changements pour les entreprises.
Selon Jacques Barthélémy et Gilbert Cette, auteurs de plusieurs rapports et ouvrages sur les mutations du droit du travail (1), notre Code du travail est doublement inefficace : lourd et complexe, il bride l’activité économique sans pour autant protéger correctement les travailleurs. Sa refondation est donc une impérieuse nécessité.
Le point de départ des auteurs est de constater que la France se caractérise par une situation très contradictoire : un droit social très réglementaire et une faible syndicalisation s’y associent à un fort sentiment d’insécurité, à une mauvaise qualité des relations sociales et à un manque de confiance envers les institutions. Le poids du droit réglementaire en France est sans doute l’une des raisons significatives de la faible syndicalisation. Or, une forte syndicalisation est indispensable à la promotion des droits du travailleur et à l’élaboration d’un droit de nature plus conventionnelle.
Ce n’est pas aux nouvelles formes de travail suscitées par la société du numérique de s’adapter à un droit social conçu dans une société antérieure, la société de l’usine. C’est au droit social de s’adapter pour que sa fonction protectrice concerne l’ensemble des travailleurs et toutes les formes d’activité, y compris les plus récentes.
La solution selon eux ? Ouvrir largement la possibilité de substituer au maquis des lois et règlements actuels des normes issues de la négociation collective. Décidées au plus près des réalités par les principaux intéressés, ces normes nouvelles seraient plus adaptées, plus protectrices et plus inclusives.
La nécessité de ce changement est devenue plus pressante dans le contexte de la crise de la Covid-19 qui accélère la révolution numérique.
Pour Jacques Barthélémy et Gilbert Cette, l’heure est venue de remplacer le droit du travail par celui de l’activité professionnelle, en favorisant un droit plus contractuel mieux adapté aux nouvelles organisations du travail, plus modulaires, et à la diversification des statuts d’emploi (salariés, indépendants, etc.).
De nouveaux critères définiraient le contrat de travail, désormais fondé sur la dépendance économique du travailleur à l’égard du donneur d’ordre. La protection des travailleurs serait assurée « en donnant une place prééminente au tissu conventionnel » grâce à un renforcement du dialogue social, avec des salariés davantage associés aux choix stratégiques de l’entreprise.
Ils proposent que la négociation collective accorde « une place déterminante aux normes conventionnelles », avec une redéfinition de l’articulation entre les négociations de branche d’activité et celles de l’entreprise, ainsi qu’entre les accords de branche et les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Il s’agit pour les auteurs de prolonger les réformes engagées depuis 2016 par la loi El Khomri, les ordonnances travail de 2017 et la loi Pénicaud de 2018. Le propos est de déroger toujours plus, pour toujours mieux s’adapter.
Jacques Barthélémy et Gilbert Cette qualifient par avance d’« idéologues » ceux qui y verraient « un détricotage du droit du travail ». « C’est d’épanouissement des libertés qu’est porteur un tel projet », écrivent-ils.
1. « Travail et changements technologiques. De la civilisation de l’usine à celle du numérique », de Jacques Barthélémy et Gilbert Cette. Odile Jacob
Pour en savoir plus
Téléchargez le Rapport « Refondation du droit social : concilier protection des travailleurs et efficacité économique » - Jacques Barthélémy et Gilbert Cette - 2010
Publié le 23 janvier 2022
Sources : Vie Publique, The Conversation, Le Monde, « Travail et changements technologiques. De la civilisation de l’usine à celle du numérique », de Jacques Barthélémy et Gilbert Cette, Rapport « Refondation du droit social : concilier protection des travailleurs et efficacité économique » de Jacques Barthélémy et Gilbert Cette.
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