
L’évolution du taux de syndicalisation en France montre une tendance persistante à la baisse depuis plusieurs décennies. Ce phénomène s’explique par des mutations profondes du marché du travail, des réformes législatives et une modification des attentes des salariés vis-à-vis des syndicats. Face à cette situation, les organisations syndicales doivent repenser leurs modes d’action et leur attractivité pour enrayer ce déclin et retrouver une place centrale dans le dialogue social
La dernière étude publiée par la Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (Dares), qui s'est penchée sur les instances de représentation des salariés dans le secteur privé non agricole confirme que les organisations syndicales doivent faire face à une nouvelle baisse de leur présence au sein des entreprises en 2023, confirmant une tendance préoccupante.
Les fondements du droit syndical
Constituant un délit pénal entre 1791 (décret d'Allarde, loi le Chapelier) et 1864 (abolition du délit de coalition), les syndicats professionnels furent légalisés par la loi du 21 mars 1884 (loi Waldeck-Rousseau), correspondant à un « retour à la vie juridique du fait collectif ».
Le préambule de la constitution de 1946 fit de cette liberté un droit constitutionnel. : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ». Les accords de Grenelle (1968) reconnurent la représentation syndicale dans l'entreprise et furent suivis de la proclamation d'un droit à la négociation collective (1971), rendue obligatoire dans les branches et dans les entreprises par les lois Auroux (1982).
Aujourd'hui, l'article L. 2131-1 du code du travail dispose : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts ».
Évolution du taux de syndicalisation : un déclin progressif
Le taux de syndicalisation a chuté de 30 % à 17 % dans les années 1950, il est ensuite resté assez stable jusqu'à la fin des années 1970, puis a dégringolé à nouveau pour atteindre 10 % au début des années 1990 selon les estimations du ministère du Travail. Ce niveau s’est ensuite maintenu, mais avec une érosion progressive et des variations sectorielles notables.
Dans le secteur privé, le taux de syndicalisation a reculé ces dernières années, passant de 8,7 % en 2013 à 7,8 % en 2019.
Si le secteur public a historiquement affiché un taux de syndicalisation plus élevé que le secteur privé, il n’a pas échappé à cette tendance baissière. En 2013, 19,8 % des agents de la fonction publique étaient syndiqués, mais ce chiffre est tombé à 18,4 % en 2019, soit une baisse de 1,4 point en six ans.
Les dernières données disponibles confirment que cette tendance ne s’inverse pas. En 2023, les organisations syndicales ont enregistré une nouvelle baisse de leur présence dans les entreprises, dans un contexte de réformes du dialogue social et de fusion des instances représentatives du personnel (création du CSE). La disparition progressive des comités d’entreprise et des délégués du personnel a réduit la visibilité des syndicats dans de nombreuses structures, compliquant encore davantage leur mission de recrutement.
Le secteur privé en France affiche un taux de syndicalisation particulièrement faible, atteignant un point bas historique de moins de 8 %. À l’inverse, la fonction publique, bien que connaissant une baisse progressive, reste plus syndiquée avec un taux d’adhésion d’environ 18 %. Cette disparité met en lumière les difficultés du syndicalisme à s’implanter durablement dans le monde de l’entreprise, notamment dans le secteur privé où la précarité de l’emploi, la méfiance envers les syndicats et l’individualisation des relations de travail freinent l’engagement des salariés.
Disparités selon les secteurs et la taille des entreprises
Le taux de syndicalisation en France varie considérablement en fonction du secteur d’activité et de la taille des entreprises. Si certaines branches professionnelles conservent encore une forte tradition syndicale, d’autres peinent à mobiliser les salariés. De même, les grandes entreprises restent plus propices à la présence syndicale que les petites structures, où l’engagement des salariés est bien plus limité. Les petites entreprises sont particulièrement concernées par cette faible syndicalisation, avec seulement 5 % des salariés syndiqués dans les entreprises de moins de 50 salariés.
Une forte disparité entre les secteurs d’activité
Certains secteurs affichent des taux de syndicalisation nettement supérieurs à la moyenne nationale, tandis que d’autres sont en net retrait.
• Les bastions historiques du syndicalisme : L’industrie, les transports et l’énergie restent des secteurs où la présence syndicale est relativement forte. Les syndicats y ont longtemps joué un rôle clé dans l’obtention de droits sociaux, et la culture de la négociation collective y est bien ancrée. Par exemple, dans le secteur ferroviaire ou chez les électriciens et gaziers, le taux de syndicalisation dépasse souvent 20 %, notamment en raison des régimes spécifiques et des luttes sociales récurrentes.
• Le secteur public, encore structuré mais en recul : La fonction publique, bien que plus syndiquée que le secteur privé, connaît également une baisse de l’adhésion. La restructuration des services publics et la réduction des effectifs ont contribué à cette érosion.
• Les secteurs moins syndiqués : En revanche, le commerce, l’hôtellerie-restauration et les services aux particuliers affichent des taux de syndicalisation extrêmement bas. Ces secteurs sont marqués par une forte précarité de l’emploi (contrats courts, intérim, travail saisonnier), ce qui rend difficile l’implantation syndicale. De plus, la rotation fréquente du personnel et la crainte de représailles de la part des employeurs freinent l’engagement des travailleurs.
Une syndicalisation très faible dans les petites entreprises
La taille de l’entreprise joue également un rôle déterminant dans le taux de syndicalisation. Les grandes entreprises offrent un cadre plus structuré pour l’action syndicale, avec des instances représentatives du personnel et une tradition de négociation collective plus ancrée. En revanche, les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE) restent largement en dehors de cette dynamique.
• Un taux de syndicalisation très bas dans les TPE et PME : Dans les entreprises de moins de 50 salariés, seulement 5 % des travailleurs sont syndiqués, un chiffre bien inférieur à la moyenne nationale. Plusieurs raisons expliquent cette situation :
o L’absence d’instances représentatives du personnel rend l’implantation syndicale plus compliquée.
o La proximité entre employeurs et salariés dans les petites structures peut limiter l’expression des revendications collectives.
o La crainte de représailles ou d’une détérioration des relations de travail freine l’engagement syndical.
• Une meilleure présence dans les grandes entreprises : À l’inverse, dans les grandes entreprises de plus de 500 salariés, le taux de syndicalisation est plus élevé, notamment grâce à l’existence d’instances représentatives du personnel (CSE) et de conventions collectives plus favorables aux travailleurs. Cependant, même dans ces structures, la syndicalisation reste bien inférieure aux niveaux observés dans d’autres pays européens comme l’Allemagne ou la Suède.
Cette faiblesse constitue un lourd handicap en matière de dialogue social : la négociation s’en trouve déséquilibrée ; les accords passés ont une légitimité moindre que dans les pays où plus de la moitié des salariés adhèrent à une organisation syndicale.
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Un modèle syndical atypique
Contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne ou la Suède, où seuls les adhérents bénéficient directement des accords négociés par les syndicats, la France applique le principe de "syndicalisme de représentation". Autrement dit, les syndicats négocient pour l’ensemble des salariés, qu’ils soient adhérents ou non. Résultat : de nombreux travailleurs considèrent qu’ils n’ont pas besoin d’adhérer pour profiter des avancées obtenues. Les non-syndiqués laissent les syndiqués défendre leurs droits, pour en retirer ensuite les bénéfices. Adhérer peut même être nuisible à la carrière et à la rémunération des intéressés.
Un manque d’attractivité des syndicats
Les syndicats souffrent d’une image souvent négative auprès des salariés. Ils sont perçus comme trop politisés, peu réactifs aux nouveaux enjeux du monde du travail (télétravail, précarité, nouvelles formes de management) et parfois trop focalisés sur les conflits plutôt que sur la négociation. Cette perception les éloigne notamment des jeunes générations et des salariés du secteur privé.
La multiplication des syndicats en France : un paysage éclaté
Depuis l’après-guerre, le paysage syndical français s’est progressivement diversifié sous l’influence de plusieurs courants idéologiques, ce qui a conduit à un morcellement des organisations représentatives des salariés. Contrairement à d’autres pays où le syndicalisme est structuré autour de quelques grandes centrales influentes, la France se caractérise par une pluralité de syndicats aux orientations parfois divergentes, ce qui peut limiter leur efficacité collective et brouiller leur message auprès des travailleurs.
Le syndicalisme français a connu plusieurs scissions historiques liées aux tensions entre différentes doctrines politiques et sociales. Après la Seconde Guerre mondiale, la CGT (Confédération Générale du Travail), longtemps dominante, s’est divisée en raison de l’influence croissante du Parti communiste. Cette fracture a conduit à la création en 1947 de Force Ouvrière (FO), qui souhaitait un syndicalisme indépendant de toute influence politique partisane.
Dans les décennies suivantes, d’autres organisations se sont développées, souvent en réaction aux positions des syndicats existants :
• La CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail), issue d’une scission de la CFTC en 1964, a adopté une ligne plus réformiste et laïque.
• La CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens), quant à elle, a conservé un ancrage chrétien dans ses valeurs.
• La CFE-CGC (Confédération Française de l’Encadrement – Confédération Générale des Cadres) s’est spécialisée dans la défense des intérêts des cadres et professions intermédiaires.
• L’UNSA (Union Nationale des Syndicats Autonomes) et Solidaires (incluant SUD) sont apparus plus tard pour représenter des approches plus autonomes ou contestataires du dialogue social.
Cette fragmentation du syndicalisme français entraîne souvent une concurrence entre les organisations pour le recrutement de nouveaux adhérents et la représentativité dans les instances de négociation. Certains syndicats, comme la CGT et FO, privilégient un rapport de force basé sur la mobilisation et les grèves, tandis que d’autres, comme la CFDT, misent davantage sur la négociation et le compromis. Ces divergences de stratégies peuvent rendre les négociations plus complexes et affaiblir le poids des syndicats face aux employeurs et au gouvernement.
La transformation du monde du travail
L’évolution du marché de l’emploi a également fragilisé l’implantation syndicale :
• La disparition progressive des bastions industriels, où les syndicats étaient historiquement très présents, a réduit leur influence.
• L’essor du secteur tertiaire, où les emplois sont souvent individualisés et dispersés, complique l’organisation collective.
• La généralisation des contrats précaires (intérim, CDD, auto-entrepreneuriat) crée une population de travailleurs plus mobiles et moins enclins à s’investir dans une organisation sur le long terme.
Conséquences sur le dialogue social
La diminution de la présence syndicale dans les entreprises a des répercussions significatives sur le dialogue social, menaçant l’équilibre entre employeurs et salariés. Un faible taux de syndicalisation réduit non seulement la capacité des travailleurs à défendre leurs droits, mais il affaiblit également la qualité des négociations collectives, ce qui peut à terme nuire au climat social au sein des entreprises.
Un déséquilibre dans les négociations collectives
Les syndicats jouent un rôle clé dans la représentation des salariés lors des négociations avec les employeurs. Or, lorsque leur présence diminue, le rapport de force s’en trouve déséquilibré au profit des directions d’entreprise. Cela peut se traduire par des accords moins favorables aux travailleurs en matière de salaires, de conditions de travail ou d’aménagement du temps de travail. Une faible syndicalisation affaiblit également la capacité des syndicats à mobiliser les salariés pour peser sur les discussions et obtenir des compromis plus équilibrés.
En outre, la légitimité des accords conclus peut être remise en question. En l’absence de syndicats représentatifs, les négociations se font parfois directement entre employeurs et salariés ou via des représentants du personnel élus sans étiquette syndicale, ce qui peut limiter l’efficacité et la portée des accords obtenus.
Une baisse de la qualité du dialogue social
L’un des effets majeurs de la disparition progressive des syndicats dans les entreprises est la réduction des espaces de discussion entre employeurs et salariés. Traditionnellement, les instances représentatives du personnel, comme les délégués syndicaux ou les comités d’entreprise (désormais fusionnés au sein du CSE), permettaient d’aborder des sujets tels que les conditions de travail, la santé des employés ou encore l’organisation du travail. Avec un syndicalisme affaibli, ces échanges deviennent moins fréquents et moins structurés, ce qui peut entraîner un climat social plus tendu, voire une augmentation des conflits individuels entre salariés et employeurs.
Un accès plus limité aux droits des salariés
L’un des rôles fondamentaux des syndicats est d’informer et d’accompagner les salariés dans la défense de leurs droits. Or, avec un nombre réduit de représentants, de nombreux travailleurs, notamment dans les petites entreprises, peuvent se retrouver isolés face à leur employeur et mal informés sur leurs droits en matière de rémunération, de congés ou de licenciement. Ce manque d’accompagnement peut accentuer la précarisation des travailleurs les plus vulnérables et conduire à des abus.
Une participation réduite des salariés aux décisions d’entreprise
Les syndicats ne sont pas seulement des organes de contestation ; ils jouent aussi un rôle dans la gouvernance des entreprises en siégeant dans certaines instances de décision. Leur affaiblissement signifie que les salariés ont moins de poids dans la stratégie et les orientations prises par leur employeur, notamment en période de restructuration ou de crise économique. Cela peut générer un sentiment d’exclusion et de perte de contrôle parmi les salariés, alimentant leur défiance vis-à-vis du dialogue social et de ses acteurs.
Perspectives d'avenir
L’avenir du syndicalisme en France dépend de nombreux facteurs. Après l’effondrement industriel, les syndicats arriveront-ils à conquérir les services ? La tâche, de long terme, n’est pas facile du fait de la plus faible taille en moyenne des établissements.
Pour inverser cette tendance, les syndicats doivent adapter leurs stratégies aux évolutions du monde du travail. Cela pourrait passer par une meilleure représentation des travailleurs précaires, une présence accrue dans les petites entreprises et une modernisation de leur image pour attirer les jeunes générations. Par ailleurs, une réflexion sur le modèle de représentation des salariés en France pourrait être nécessaire pour renforcer le dialogue social et assurer une meilleure protection des droits des travailleurs.
La multiplication des syndicats en France est le fruit de son histoire politique et sociale, mais elle représente aussi un défi pour leur influence et leur attractivité. Si cette diversité offre aux salariés différentes options de représentation, elle peut aussi affaiblir l’efficacité des négociations collectives en rendant le front syndical moins uni face aux employeurs et aux réformes gouvernementales. Pour redynamiser la présence syndicale en entreprise, une plus grande coordination entre les différentes organisations pourrait être une solution à explorer.
En conclusion, la baisse de la présence syndicale dans les entreprises françaises est un phénomène préoccupant qui nécessite une attention particulière de la part des acteurs sociaux et des pouvoirs publics pour garantir un dialogue social équilibré et efficace.
Publié le 6 mars 2025
Rédigé par Officiel CSE
Sources :
Dares (Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques) : « Léger repli de la syndicalisation en France entre 2013 et 2019 : dans quelles activités et pour quelles catégories de salariés » - 1 février 2023 - Dares Analyses N°6 - Maria Teresa Pignoni
Centre d’observation de la société : « Le taux de syndicalisation se stabilise à un niveau très faible » - 26 Avril 2023
JAN Arthur. Des salariés comme les autres ? : la CGT au défi de la syndicalisation des autoentrepreneurs des plateformes de livraison de repas. La Revue de l'Ires [en ligne], 2022
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