
Le déploiement de l’intelligence artificielle (IA) en entreprise se fait encore trop souvent sans consultation des représentants du personnel. Une récente décision du tribunal judiciaire de Nanterre rappelle pourtant l’obligation d’informer et de consulter le CSE avant toute mise en œuvre, y compris en phase pilote.
Jusqu’à présent, le déploiement des outils d’intelligence artificielle dans les entreprises s’effectue sans réelle concertation avec les instances représentatives du personnel. Pourtant, ces technologies ont des impacts majeurs sur l’organisation du travail, la gestion des salariés et leurs conditions de travail.
Face à cette réalité, la jurisprudence commence à poser des jalons. Une décision récente du tribunal judiciaire de Nanterre vient renforcer le rôle du Comité Social et Économique (CSE) dans l’introduction de ces nouvelles technologies.
Une décision de justice marquante : l’ordonnance du 14 février 2025
Par une ordonnance de référé rendue le 14 février 2025, le tribunal judiciaire de Nanterre a suspendu le déploiement d’outils d’intelligence artificielle dans une entreprise, en raison de l’absence de consultation préalable du CSE.
Dans cette affaire, le CSE avait saisi la justice pour faire valoir son droit d’information et de consultation. Il estimait que la mise en place des nouvelles applications informatiques intégrant de l’IA constituait un trouble manifestement illicite et une entrave à ses prérogatives.
L’employeur, pour sa part, soutenait que ces outils étaient en phase d’expérimentation et non encore déployés à grande échelle. Or, le juge des référés a considéré que la phase pilote impliquait déjà une utilisation effective par une partie des salariés, ce qui justifiait une consultation du CSE avant leur mise en œuvre.
Selon le tribunal, « cette phase ne peut dès lors être regardée comme une simple expérimentation nécessaire à la présentation d’un projet suffisamment abouti, mais s’analyse au contraire comme une première mise en œuvre des applicatifs informatiques soumis à consultation. Or, il est constant que le comité n’a pas encore rendu son avis sur ces outils. Leur déploiement anticipé constitue dès lors un trouble manifestement illicite ».
La consultation du CSE renforcée
L’article L. 2312-8 du Code du travail prévoit que le CSE doit être consulté sur les questions concernant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment en cas d’introduction de nouvelles technologies.
La jurisprudence a déjà posé des principes clairs en la matière : la consultation du CSE est requise lorsque la mesure envisagée affecte l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise de manière significative. Cette consultation doit être réalisée avant toute mise en œuvre effective pour avoir un effet utile.
Les élus du CSE doivent donc être particulièrement vigilants et ne pas hésiter à revendiquer leur droit à l’information et à la consultation, y compris lorsque l’IA est introduite en phase « pilote ».
Quel avenir pour ce type de contentieux ?
Cette décision du tribunal judiciaire de Nanterre constitue une avancée pour la reconnaissance du rôle du CSE face à l’IA. Toutefois, elle doit être nuancée : il s’agit d’une ordonnance de référé, c’est-à-dire d’une décision provisoire rendue en urgence.
Il existe par ailleurs des décisions plus anciennes qui n’ont pas reconnu l’obligation de consultation du CSE pour l’introduction de nouveaux logiciels, notamment dans des arrêts de la Cour de cassation (Cass. crim., 3 mai 1994 n°93-80.911 ; Cass. crim., 13 septembre 2005 n°04-86.887).
Toutefois, avec la montée en puissance de l’IA et son impact grandissant sur le travail, il est probable que ce type de contentieux se multiplie. La nécessité de mieux encadrer l’introduction de ces technologies dans l’entreprise pourrait même conduire à des évolutions législatives pour renforcer le rôle du dialogue social.
Ainsi, cette affaire illustre l’importance pour les représentants du personnel d’anticiper ces changements et de faire valoir leur droit à une consultation effective en amont de tout projet intégrant l’IA, y compris en phase d’expérimentation.
Publié le 5 mars 2025
Rédigé par Officiel CSE
Source : TJ Nanterre, 14 février 2025, n°24/01457
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