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La fatigue informationnelle est une nouvelle forme de pénibilité au travail. Avec la multiplication des outils de communication en ligne et l'accélération de la digitalisation, ce nouveau mal frappe les salariés. Ce phénomène, également appelé « stress numérique », résulte de la surcharge d'informations à traiter au quotidien et des sollicitations incessantes via les canaux digitaux. Ces phénomènes préoccupent autant les employeurs que les salariés, les poussant à chercher des solutions pour un équilibre entre digitalisation et bien-être au travail.
Dans un monde de plus en plus connecté, le stress numérique et la fatigue informationnelle touchent un grand nombre de salariés. La surcharge d’informations, combinée à une utilisation excessive des outils numériques, impacte la santé mentale et la productivité.
Qui ne s'est jamais senti épuisé face aux dizaines d'emails non lus qui inondent sa boîte mail, aux notifications incessantes qui ne vous sont pas toujours directement adressées ou aux réunions qui s'éternisent ? Entre les réunions en visio, les groupes de tchat et les e-mails de clients qui exigent une réponse rapide, il est parfois difficile de se concentrer au bureau.
Ce sentiment, partagé par de nombreux travailleurs du secteur tertiaire, a un nom. Il s'agit de la fatigue informationnelle au travail. Une étude réalisée en 2023 par l’Observatoire de l’infobésité a mis en lumière l’ampleur du stress numérique ressenti par les salariés face à la multiplication des outils de communication en ligne. Une nouvelle étude publiée en décembre par la Fondation Jean-Jaurès confirme une progression préoccupante du « stress numérique » chez les salariés.
La fatigue informationnelle : un excès de données à traiter
Les technologies de l’information se sont répandues dans de très nombreuses professions, et notamment dans la quasi-totalité des emplois du tertiaire (qui représentent aujourd’hui 77 % de l’emploi en France).
La fatigue informationnelle, également appelée « infobésité », désigne l’état d’épuisement mental provoqué par une surcharge d’informations. Ce phénomène est aggravé par la multiplication des outils numériques tels que les messageries instantanées, les courriels, et les plateformes de collaboration.
Les salariés sont aujourd'hui submergés par une masse d'informations provenant de multiples sources :
• Emails professionnels : souvent plusieurs dizaines, voire centaines, par jour.
• Messageries instantanées comme Linkedin, Slack ou WhatsApp, qui génèrent des notifications en continu.
• Réunions en visioconférence sur Zoom, Teams, Gmeet qui s'enchaînent sans laisser de pause.
• Flux d’actualités internes et externes : newsletters, rapports, alertes, etc.
Ce flot incessant complique la priorisation des tâches et engendre un sentiment d’épuisement cognitif. Le cerveau, constamment sollicité pour trier et analyser ces données, peine à se concentrer sur des activités à forte valeur ajoutée.
Pire : ces outils, conçus à l'origine pour faciliter la communication entre collègues, conduisent à une perte d'efficacité. Le temps de « reconcentration » nécessaire après avoir été interrompu serait ainsi de l'ordre d'une heure trente, chaque jour.
L’email a été pensé comme un moyen de communication asynchrone. Dans les usages, il est en réalité devenu un outil de conversations instantanées. Les notifications, sur le bureau ou les smartphones, participent à l’hyper-réactivité. Les conséquences sont multiples : augmentation du bruit numérique lié aux croisements des réponses, baisse de la qualité conversationnelle, sentiment d’urgence permanent générant stress et anxiété.
Quelques chiffres révélateurs :
• Selon une étude de la Fondation Jean Jaurès réalisée en décembre 2024, environ 26 % des actifs français, soit 7,5 millions de personnes, se disent affectés par la fatigue informationnelle, une nouvelle forme de pénibilité au travail.
• Cette étude indique que les salariés reçoivent en moyenne 22 courriels par jour en moyenne et même 32 courriels par jour en moyenne pour ceux qui possèdent une boite mail professionnelle, ce chiffre est encore plus élevé pour les cadres dirigeants.
Les conséquences du stress numérique sur les salariés
Le stress numérique a des répercussions multiples sur la santé mentale et physique des salariés :
• Baisse de la productivité : les salariés passent un temps considérable à trier, lire, et répondre à des messages souvent non prioritaires. La surcharge d’informations conduit à des erreurs et ralentit l'exécution des tâches.
• Stress et anxiété : les salariés se sentent constamment sous pression pour répondre rapidement aux sollicitations.
• Troubles du sommeil : l’hyperconnexion empêche de déconnecter mentalement, perturbant le repos.
• Risque de burn-out : la surcharge d’informations provoque anxiété, irritabilité, et troubles du sommeil. A long terme, cette surcharge mentale peut entraîner un épuisement professionnel.
D’après la dernière étude de la Fondation Jean Jaurès, les interruptions incessantes au travail entraînent des difficultés de concentration chez un tiers des actifs interrogés. « Cette fragmentation du travail peut avoir des conséquences négatives pour les travailleurs : interruptions fréquentes, morcellement des tâches, rythme de travail dicté par les technologies de l'information et de la communication (TIC) et difficulté à planifier sa charge de travail, sentiment d'urgence permanent, difficulté de concentration… », listent les auteurs de l'étude réalisée par la Fondation Jean Jaurès auprès d'un échantillon représentatif de 4.000 personnes.
Les facteurs aggravants du stress numérique
Le stress numérique est une conséquence directe de la sur-sollicitation via les outils digitaux. Ce phénomène est amplifié par l'absence de frontières claires entre vie professionnelle et vie personnelle, exacerbée par le télétravail et l'accessibilité constante.
Ces éléments accentuent la fatigue informationnelle :
L'absence de limites claires entre vie professionnelle et vie personnelle
En plus d'épuiser les salariés, la multiplication de ces sollicitations numériques a un autre effet pervers : elle dilue la frontière entre vie professionnelle et vie privée. Ainsi, 45 % des actifs déclarent répondre à des sollicitations professionnelles en dehors des horaires de travail et, dans le même temps, 62 % reconnaissent répondre à des sollicitations personnelles depuis leur bureau.
Près de la moitié des interrogés (47 %) ressentent au moins de temps en temps le besoin de rester disponible en permanence pour répondre aux personnes qui les sollicitent. Un sentiment épuisant qualifié de « laisse numérique » par la professeure des universités en sciences de l'information et de la communication Valérie Carayol, citée dans l'étude de la Fondation Jean Jaurès.
Des outils numériques mal intégrés, multipliant les canaux et les redondances
Dans de nombreuses entreprises, l'absence de stratégie cohérente dans l'intégration des outils numériques conduit à une prolifération anarchique des plateformes. Chaque service ou équipe peut adopter son propre outil de gestion de projets, de communication ou de partage de fichiers, créant une mosaïque de systèmes peu connectés entre eux. Lorsque chaque équipe utilise des plateformes différentes – messageries instantanées, logiciels de gestion de projet, e-mails, et applications collaboratives – les canaux de communication se multiplient, créant des redondances inutiles.
Par exemple, un même message peut être partagé sur plusieurs outils, obligeant les salariés à consulter et traiter l’information plusieurs fois. Cette fragmentation des outils complique la priorisation des tâches, augmente le temps perdu à naviguer entre les plateformes, et génère un sentiment de surcharge.
La culture de l’immédiateté, où chaque notification semble exiger une réponse instantanée
Les notifications constituent un autre facteur aggravant de fatigue informationnelle. En moyenne, un salarié reçoit des dizaines de notifications par jour provenant de multiples sources : e-mails, applications collaboratives, calendriers, et messageries instantanées. Ces interruptions fréquentes fragmentent l’attention et perturbent le flux de travail, empêchant les salariés de se concentrer sur leurs tâches principales.
Pire encore, les notifications créent un sentiment d'urgence permanent. Chaque son, vibration ou pop-up est perçu comme une demande immédiate, poussant les salariés à interrompre leur travail pour y répondre, même lorsque ce n’est pas indispensable. Cela génère non seulement du stress, mais aussi une perte de productivité due au temps nécessaire pour retrouver un état de concentration optimal après chaque interruption.
Des pistes pour lutter contre le stress numérique
Heureusement, des solutions existent pour réduire la fatigue informationnelle et favoriser un environnement de travail plus serein. Les entreprises doivent d'abord identifier les pratiques et technologies qui contribuent à la surcharge informationnelle : redondances entre outils, flux d’informations non prioritaires, ou encore notifications excessives. Une fois ces problématiques cernées, des solutions concrètes peuvent être mises en œuvre :
Encourager une utilisation raisonnée des outils numériques
Les entreprises peuvent instaurer des « chartes de bonnes pratiques » pour limiter les abus, comme :
• Réduire l’envoi d’emails en dehors des horaires de travail.
• Prioriser les communications essentielles pour éviter la surcharge.
• Organiser des « journées sans réunion » pour favoriser la concentration.
Former les salariés à la gestion des informations
Des ateliers ou formations peuvent être proposés pour apprendre à :
• Classer et hiérarchiser les priorités.
• Gérer les notifications de manière optimale.
• Utiliser des outils de productivité comme les agendas partagés ou les logiciels de gestion de projet.
Favoriser le droit à la déconnexion
Dans la loi depuis 2017, le droit à la déconnexion se limite à un engagement de moyens. 8 ans plus tard, beaucoup de chartes ont été publiées, pour peu d’effets mesurés. Pourtant, la disparition des temps déconnectés de repos quotidiens, de repos hebdomadaires ainsi que de congés détériore la santé mentale des salariés. C’est un facteur de risques psychosociaux encore trop sous-estimé y compris par les salariés eux-mêmes. Place aux engagements de résultats. Ce droit, prévu par le Code du travail, doit être concrètement appliqué :
• Bloquer l’accès aux plateformes professionnelles en dehors des heures de travail.
• Encourager les managers à respecter les temps de repos des équipes.
Simplifier les outils et les processus
Rationaliser le nombre d’outils numériques utilisés permet d’éviter les doublons et de fluidifier la communication.
Par exemple :
• Centralisation des outils : réduire le nombre de plateformes utilisées et favoriser des solutions intégrées, permettant une communication fluide et sans redondance.
• Automatiser certaines tâches pour réduire la charge cognitive.
Limiter la fatigue informationnelle : un enjeu majeur dans le monde du travail moderne
La fatigue informationnelle est devenue l'un des défis les plus pressants du travail contemporain, affectant aussi bien la santé mentale des salariés que la performance globale des entreprises. Avec l’explosion des outils digitaux, les canaux de communication et les flux d’informations se sont multipliés, augmentant la charge mentale et le risque d'épuisement professionnel. Pourtant, il est possible de transformer cette contrainte en opportunité en adoptant des stratégies adaptées et en plaçant le bien-être des salariés au cœur des priorités.
En adoptant des stratégies adaptées, les entreprises peuvent non seulement préserver la santé de leurs salariés, mais aussi améliorer leur efficacité et leur bien-être au travail. Face à la multiplication des outils digitaux, un usage maîtrisé et réfléchi s’impose comme une nécessité.
La digitalisation du travail est une avancée indéniable, mais elle doit être accompagnée de mesures pour préserver la santé des salariés. Le stress numérique et la fatigue informationnelle ne sont pas des fatalités. Avec une prise de conscience collective et des actions concrètes, les entreprises peuvent favoriser un environnement de travail équilibré et durable et éviter ainsi que le stress numérique ne devienne un facteur systémique de mal-être au travail.
La clé réside dans une utilisation raisonnée des outils numériques, où l’humain reste au centre des priorités.
Publié le 10 janvier 2025
Sources : Officiel CSE
Enquête « La fatigue informationnelle : une nouvelle forme de pénibilité au travail » de L’ObSoCo, la Fondation Jean-Jaurès et Arte - Sébastien Boulonne, Guénaëlle Gault et David Médioni - Décembre 2024 : consultez les résultats de l’enquête
« Infobésité et Collaboration Numérique » : Référentiel annuel 2023 de l'Observatoire de l'infobésité et de la Collaboration numérique : téléchargez le référentiel
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