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- Dialogue social : pourquoi le comité social et économique peine à s’imposer en entreprise
Dans son rapport sur l’évaluation des ordonnances de 2017 qui réforment le Code du travail (loi Pénicaud), France Stratégie soulignait en 2018 que « les acteurs ne se sont pas saisis des opportunités » qu’ouvraient le texte sur la mise en place du comité social et économique (CSE) qui devait permettre de réformer le dialogue social.
Pourquoi ? En s’appuyant sur une recherche académique (en cours) et sur une expérience de négociateur terrain, nous devons avancer trois raisons majeures de cet échec, non pas dans ses résultats dont l’évaluation est en cours, mais dans l’objectif ambitieux que se fixaient les ordonnances.
Auteur : Pauline de Becdelievre, Ecole Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-Saclay
Asymétrie entre les acteurs
Premièrement, la responsabilité du législateur sur le processus de négociation des CSE est très lourde : en laissant l’une des parties bénéficier de dispositions très favorables en absence d’accord, ce que la théorie appelle la « meilleure solution de rechange » (MESOR) ou encore « meilleure solution alternative à la négociation », il a créé une asymétrie incontestable entre les acteurs au profit de la partie patronale.
Ce rapport de force très défavorable aux syndicats a mené le plus souvent à une négociation positionnelle centrée sur les moyens, empêchant dès lors l’émergence d’une négociation gagnant-gagnant ou les possibilités de création de mécanismes innovants tout en occultant la raison d’être d’un dialogue social de qualité.
Néanmoins, ce rapport de force dépend du contexte. En effet, pour la plupart des très petites entreprises (TPE) ou des petites et moyennes entreprises (PME), les dispositions de la loi ressemblent fort à l’ancienne DUP (Délégation unique du personnel) et les dispositions légales en absence d’accord ne modifiaient guère les moyens dévolus au dialogue social, l’améliorant même dans certains cas.
Au contraire, pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises (GE) avec des multi-établissements, les dispositions supplétives, c’est-à-dire auxquels l’entreprise peut déroger, s’avéraient en l’état catastrophiques pour la partie syndicale. Un négociateur CFDT confie :
Notre employeur a proposé en début de négociation l’application stricte des dispositions supplétives. Bref, réduction du comité central d’entreprise (CCE) et des 5 comités d’entreprise (CE) à un unique CSE, et plus qu’une seule commission commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) en lieu des 9 en place, le tout sans représentant de proximité. Ceci représentait 90 % des moyens des instances représentatives du personnel (IRP), ce fut le choc.
Et de conclure qu’avec un accord final réduisant les moyens d’environ 50 %, la négociation avait permis d’éviter l’application brutale des dispositions supplétives légales.
Cependant, dans certains contextes particuliers tels que le secteur de la chimie, une application brutale des dispositions supplétives pouvait s’avérer néfaste pour l’entreprise. Un négociateur du syndicat de l’encadrement CFE-CGC témoigne :
Les anciens comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avaient été vigilants et avaient évité, par le passé, certains risques et déboires pour l’employeur. L’entreprise ne pouvait se contenter que d’un seul CSE ET CSSCT. Elle a donc négocié plusieurs CSSCT avec nous.
Ce positionnement permettait ainsi de rééquilibrer le rapport de force.
Absence de diagnostic initial dans les entreprises
Deuxièmement, il s’est rajouté une absence quasi totale de diagnostic de la négociation dans les entreprises avant la mise en place du CSE. Ainsi, dans une grande entreprise, la préparation de la négociation s’est concentrée sur le cadre juridique, notamment les mesures supplétives, pointant ainsi la discussion sur la défense de moyens en diminution probable. L’utilité et la performance de l’information-consultation n’ont pas été évoquées, seulement les moyens associés.
Pourtant un diagnostic avait déjà été fait sur le système des institutions représentatives du personnel et la qualité du dialogue social en 2011. Celui-ci avait conclu à un empilement de règles sociales contraignantes, plutôt bien respectées mais ne garantissant pas la réalisation d’un « dialogue social de qualité ».
L’info-consultation aurait pu être repensée pour devenir un véritable espace de dialogue et non une sorte de « pièce de théâtre où chacun joue son rôle », pour reprendre les termes d’un responsable de la CGT, et éviter d’entamer les consultations une fois la solution déjà prête.
Une indépendance des acteurs relative
Troisièmement, l’indépendance des acteurs pensée dans les ordonnances, puisque l’on négocie au niveau de l’entreprise, s’avère relative des deux côtés.
Tout d’abord, les négociateurs patronaux en grandes entreprises semblaient très surveillés par le Medef quant aux innovations possibles. La crainte résidait dans des accords trop favorables qui pourraient être utilisés comme référence par la partie syndicale dans d’autres grandes entreprises, faisant dans les esprits, une sorte de « jurisprudence ». Cela a conduit à une certaine uniformité dans les accords signés.
Ainsi la réduction des moyens syndicaux autour de 40 % (GE et ETI) a été une norme d’acceptabilité et non le produit d’une vraie négociation ouverte entreprise par entreprise. Ce niveau de réduction moyen correspond sans doute à un compromis interne au sein de l’organisation patronale, entre les partisans du dialogue social comme facteur de performance globale et ceux, plus nombreux, le considérant comme un coût imposé par la loi en faveur des forces syndicales.
Dans la contribution de la CFDT au récent rapport intermédiaire de l’évaluation des ordonnances on peut ainsi lire :
Beaucoup d’entreprises ne font pas le pari du dialogue social et ont profité de cette réforme pour réduire les moyens syndicaux.
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, appuyait lui aussi dans ce sens dans une interview accordée aux Échos en septembre dernier :
Celles-ci ont eu des effets négatifs, notamment sur les moyens donnés au dialogue social. La plupart des entreprises s’en tiennent au service minimum inscrit dans la loi.
Du côté des organisations syndicales (OS), l’asymétrie dans le rapport de force, faisait craindre une pression encore plus forte quant à la réduction des moyens, les enfermant de fait dans une logique défensive de négociation : l’idée n’étant pas d’être innovant mais de préserver, autant que faire se peut, l’existant.
Rappelons que dans cet existant, il y a notamment tous les moyens humains (détachement syndical), matériels (notamment de locaux) et parfois financiers (enveloppe globale donnée sans vérification ultérieure) que l’entreprise met à disposition des syndicats au niveau fédéral (au niveau des branches professionnelles) et confédéral (national) et qui s’avèrent critiques s’ils subissent trop de réductions pour l’existence même de l’organisation syndicale en dehors de l’entreprise.
Si, dans une entreprise du CAC 40, l’accord a réduit d’environ 26 % les moyens donnés aux porteurs de mandat, il a en contrepartie augmenté de 25 % les moyens à libre disposition des OS. Il a été accepté une réduction globale des moyens en contrepartie d’un contrôle syndical plus fort de ceux-ci.
Dans cette même optique de contrôle, les mandats sont devenus, hors CSE, désignatifs et non électifs pour les représentants de proximité (RP) et la commission santé-sécurité et conditions de travail (CSSCT), contrairement aux anciens délégués du personnel (DP) et membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui étaient élus.
Comme le fait remarquer le président d’un syndicat représentatif de l’entreprise, ceci signifie que :
Les CSE seront plus politiques et dépendants des OS qui établissent les listes et peuvent espérer en contrepartie avoir la main sur les désignations des représentants de proximité et de membres de commissions, notamment celles des CSSCT.
Ces trois raisons identifiées sont essentielles à la mise en place du CSE au regard de la culture française particulière de négociation. Selon Jacques Rojot, professeur émérite à l’Université Panthéon-Assas Paris II (décédé en début d’année), celle-ci est confrontée à celle de l’autorité absolue, tant offensive que défensive.
C’est-à-dire que la peur du face-à-face et du conflit conduit le manager à édicter des règles qui se veulent absolues pour résoudre les problèmes, tout en considérant qu’il peut lui-même s’en abstraire.
Dès lors, c’est une culture du pouvoir et de l’autorité qui domine et non celle d’une véritable négociation recherchant des compromis équilibrés ou des accords innovants où tous ont le sentiment de gagner.
Pour établir une vraie culture de la négociation française en entreprise, cela nécessiterait pour l’État d’obliger les entreprises à faire un diagnostic avec les IRP des effets de la mise en place des CSE ; de supprimer les mesures supplétives pour le renouvellement des accords et dire qu’en leur absence, ce sont les mesures précédentes lors de la première négociation du CSE qui constitueront les nouvelles dispositions supplétives ; et enfin de garantir l’autonomie des négociateurs au niveau de l’entreprise tant patronaux que syndicaux.
La mise en place de cette culture de négociation a également des implications pour les partenaires sociaux et patronaux, qui doivent faire un réel diagnostic des négociations dans leur entreprise lors de renouvellement des CSE ; réaliser un bilan à 6 mois sur l’impact du CSE sur la négociation dans l’entreprise ; laisser une totale indépendance aux acteurs lors des négociations afin d’éviter les règles extérieures ; et enfin, mettre en place des formations communes entre membres des directions et syndicalistes afin de créer des réflexes de négociation gagnant-gagnant, chose d’ailleurs prévue dans les ordonnances de 2017.
La mise en place du CSE pourrait constituer une véritable révolution pour les entreprises et les syndicats, à condition donc d’aborder le sujet de la négociation qui reste à ce jour trop rarement abordé alors qu’il est la clé de voûte du sujet.
Bruno-André Giraudon, enseignant en négociation et syndicaliste, a co-rédigé cet article.
Pauline de Becdelievre, Maître de conférence/ enseignant-chercheur, Ecole Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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